Les fractures luxations transcaphoradiolunaires sont des lésions rares. Elles surviennent lors d’un traumatisme de haute énergie. La lésion concomitante des deux poignets est exceptionnelle. Nous rapportons un cas de fracture-luxation transcapholunaire bilatérale du poignet chez un homme de 23 ans. Sa luxation fut traitée par réduction à foyer fermé, et les fractures par ostéosynthèses. Le résultat fonctionnel à sept mois était satisfaisant.
Transcaphoradiolunar fractures-dislocations are rare lesions. They occur in a high-energy trauma. The concomitent lesion of both wrists is exceptional. We report a case of bilateral transcaphradiolunar dislocated wrist fracture in a 23-year-old man. The dislocation was treated by closed reduction and fractures by internal fixation. The functional outcome was satisfying after seven months of follow-up.
Les fractures-luxations transcapholunaires sont une entité rare car les traumatismes du carpe entraînent plutôt une fracture extra-articulaire ou une luxation péri-lunaire. La bilatéralité est encore exceptionnelle, nous n’avons retrouvé que cinq cas rapportés dans la littérature [1-4].
Nous en rapportons une forme bilatérale exceptionnelle associant une fracture du scaphoïde, une luxation rétro-lunaire du carpe et une fracture cunéenne externe de l’extrémité distale du radius.
Le but de notre travail a été d’attirer l’attention sur cette variété lésionnelle exceptionnelle et de discuter les mécanismes physiopathologiques, les modalités thérapeutiques et les modes évolutifs.
Il s’agissait d’un patient âgé de 23 ans droitier, mécanicien de profession, ne souffrant pas de pathologie antérieure, il était admis aux urgences suite à une chute de sa moto roulant à une grande vitesse avec réception sur la paume des deux mains, poignets en extension occasionnant des douleurs et une impotence fonctionnelle totale.
L’examen clinique a trouvé les deux poignets déformés et oedématiés, mais sans ouverture cutanée. La sensibilité au niveau des mains était normale spécialement dans le territoire du nerf médian. Les pouls périphériques étaient présents.
Le bilan radiologique avait montré une luxation retrolunaire du carpe bilatérale associé à une fracture du scaphoïde et une fracture cunéenne externe de l’extrémité distale du radius. Nous n’avons pas noté de lésion au niveau des coudes (fig. 1a, b).
La réduction à foyer fermé a été réalisée sous anesthésie générale en urgence puis le patient a été opéré simultanément des deux cotés pour ostéosynthèse par un mini abord postérieur du scaphoïde permettant la réduction du foyer de fracture du scaphoïde puis fixation par d’une vis d’Herbert.
La fracture cunnéenne externe du coté gauche a été fixé par deux broches de Kirchner tandis du coté droit le petit fragment de la styloïde radiale a été respecté.
Une arthrodèse provisoire scapholunaire et lunotriquetrale a été réalisé et Les deux poignets ont été immobilisés par deux manchettes plâtrées pendant huit semaines (fig. 2a, b).
Apres ce délai, L’ablation des broches a été réalisée, suivie d’une rééducation progressive du poignet et de la main.
L’évolution radiologique a été satisfaisante sans récidive de la luxation, avec consolidation de la fracture du scaphoïde et de la fracture cunéenne externe (fig. 3a, b).
Le résultat clinique après six mois était satisfaisant, évalué sur la douleur, le statut fonctionnel, la mobilité et la force de préhension.
Nous avons comparé les amplitudes articulaires du coté droit par rapport au coté gauche, ainsi la flexion était de 75°/65, L’extension 80°/75, L’inclinaison radiale 10°/5° et cubitale 35/25° (fig. 4a, b).
La reprise du même travail de mécanicien a été possible après six mois, le patient n’a pas rapporté la notion d’instabilité lors des manœuvres nécessitant le verrouillage du poignet.
La luxation transcapho-radiolunaire bilatérale est une lésion grave et exceptionnelle, c’est le premier cas décrit en se référent à la littérature parmis les fractures luxations périlunaires.
En effet, ce sont des lésions rares qui constituent 5 à 10 % des atteintes traumatiques du poignet. Dans 60 % des cas Il s’agit de fracture-luxation, et non pas de luxation péri-lunaire pure [5-9]. Cinq cas de fracture luxation transcapholunaire bilatérale ont été publié (Tableau 1). C’est une lésion quasiment masculine [10], elle est l’apanage de l’adulte jeune.
Le mécanisme de ces lésions comprend une hyperextension du poignet associé à une inclinaison radiale, dénominateur commun de la quasi-totalité des lésions carpiennes [11] elles surviennent souvent suite à une chute d’une hauteur considérable ou lors d’un choc violent. En fait, pour produire une telle lésion, il faut un traumatisme plus complet comprenant un effet de torsion, seul capable de désolidariser les os de la première rangée [12].
Les lésions sont décrites selon les arcs lésionnels de Jonhson [12, 13] :
- Lésion du petit arc associant lésions ligamentaires pures scapholunaire, médiocarpienne, et lunotriquétrale progressive autour du lunatum, selon les 4 stades de lésions péri-lunaires successives décrites par Mayfield [12].
- Lésion du grand arc avec lésions de passage transosseux associées (scaphoïde, capitatum, triquétrum), voire passage transarticulaire scapho-trapèzo-trapèzoïdienne selon les lignes de dissociation décrites par Wagner [10, 13]. Elles peuvent être postérieures (les plus fréquentes), voire antérieures.
Les radiographies standards de face et surtout de profil montrent le type de luxation antélunaire exceptionnelle ou rétro-lunaire plus commune, les fractures des os du carpe notamment du scaphoïde. Les fractures des autres os du carpe sont plus rares et peuvent passer inaperçus sur cet examen. La TDM permet de les démasquer et précise leur siège et le degré de déplacement.
Si tous les auteurs [1-3, 10] s’accordent sur la nécessité d’une réduction urgente à foyer fermé des luxations perilunaires, la littérature ne donne pas de consensus sur le traitement adéquat à adopter pour traiter les fractures associées.
Masmejean [10] préconise une réduction urgente de la luxation et un traitement chirurgical des lésions ligamentaires fait d’une réparation systématique des ligaments peilunaires et une ostéosynthèse des fractures.
Barros [2] a utilisé une voie d’abord antérieure pour réparer le complexe radioscapholunaire et des broches de Kirchner pour l’ostéosynthèse des fractures du scaphoïde associé à une arthrodèse provisoire scapholunaire.
Saxena et al [4] ont opté pour une approche purement orthopédique faite d’une réduction de la dislocation par manœuvres externes sous anesthésie générale suivie d’une contention plâtrée antébrachiopalmaire pendant huit semaines.
Les procédures percutanées, antérieure rétrograde ou postérieure antérograde, pour la synthèse du scaphoïde trouvent leurs indication dans les fractures non déplacées et isolées.
La voie d’abord postérieure est classiquement la plus utilisée dans ce type de traumatisme complexe, elle permet de faire un bilan lésionnel complet autorisant le contrôle du déplacement rotatoire du scaphoïde, une réparation ligamentaire scapholunaire optimale, voire si besoin une capsulodèse et ainsi que la réparation éventuelle du ligament lunotriquétral.
La voie palmaire complémentaire est réservée aux cas où le lunatum est incoercible en avant et pour contrôler la réduction des fractures polaires inférieures du scaphoide. Une translation ulnaire associée peut nécessiter une réparation, ou réinsertion du ligament radioscaphocapitate (avulsion de la styloïde).
Les fractures cunnéenes ou marginales de l’extrémité distale du radius sont traitées par embrochages ou vissages [14].
Dans ces lésions, il faut bien comprendre que la solution de continuité est osseuse, trans-scaphoide au niveau du versant externe du carpe, puis ligamentaire, interrompant successivement toutes les attaches capsulo-ligamentaires lunocapitales et luno-triquetrales.
La réduction sous anesthésie est le plus souvent possible. Quelle que soit la qualité de la réduction osseuse apparente, une intervention chirurgicale est nécessaire, non seulement pour stabiliser le versant externe osseux, mais aussi pour réduire sous contrôle de la vue et stabiliser par brochage l’interligne luno-triquetral [15].
En effet en cas de stabilisation purement osseuse externe, n’étant plus stabilisé par le puissant luno-triquetral, le bloc scapholunaire risque de se coucher en flexion sous l’action de la poussée de la deuxième rangée des os du carpe sur la partie distale du scaphoïde.
Nous avons choisi une réduction à foyer fermé sous anesthésie générale au bloc des urgences, puis 12 heures après, nous avons opéré simultanément les deux poignets pour une fixation du scaphoïde par mini-voie postérieure en utilisant des vis d’Herbert associé à une arthrodèse provisoire lunotriquetrale et scapholunaire.
Un contrôle scopique peropératoire a montré une restauration des lignes carpiennes et la réduction des fractures. Nous estimons qu’une voie mini-invasive limiterait le risque d’interruption vasculaire, complication fréquente dans ce genre de traumatisme.
En fait une voie d’abord large permettrait une bonne exposition, un bilan lésionnel complet et un contrôle et réparation de toute les structures ligamentaires mais risque d’induire des ostéonécroses aseptiques ou des pseudarthroses des os du carpe vu la précarité de leurs vascularisation.
L’immobilisation des poignets opérés varient entre 6 à 8 semaines. Pour les cas traités orthopédiquement la durée de contention est de 3 mois.
Après ablation de la contention et des broches, La rééducation peut être débutée à partir du 3ème mois pour récupérer les amplitudes articulaires et la force musculaire.
Pour notre patient, les radiographies à six mois de recul montrent la consolidation des fractures des scaphoïdes, aussi des secteurs de mobilité corrects en flexion extension, en prono-supination et en inclinaison cubitale et radiale ont été obtenus sans douleurs rapportées.
Malgré un traitement bien conduit l’évolution peut être marquée par la survenue de complications telle que la pseudarthrose du scaphoïde, l’instabilité et l’arthrose carpiennes responsables de douleurs invalidantes et de faiblesse du poignet.
Yildirim et al. [5] rapportent la non-union du scaphoïde droit deux ans après traitement chirurgicale. Une autre complication décrite par Barros est l’instabilité du poignet gauche survenu chez son patient, après 18 mois de suivi et risque d’évoluer vers une arthrose carpienne ultérieure.
En effet, les auteurs rapportent des résultats satisfaisants à court et à moyen terme, mais il existe peu de données sur le devenir de ces patients à long terme. Mais la pseudarthrose du scaphoïde et l’arthrose intracarpienne sont plus fréquentes dans les séries de malades traités orthopédiquement.
année | auteur | age | sexe | circonstance | Type de lesion | traitement |
---|---|---|---|---|---|---|
1982 | Tekin et Grütte | 24 | homme | chute | Fracture luxation perilunaire bilatérale | Réduction à foyer ouvert, embrochage (broches de Kirchner) |
1997 | Barros et al. | 20 | homme | chute | fracture luxation transcapholunaire bilaterale | Open réduction, fixation par broches (broches de Kirschner) |
2000 | K. Kaneko et al. | 35 | homme | chute | Fracture luxation perilunaire bilatérale | Réduction, Fixation interne percutanée (vis d’Herbert), Réparation Ligamentaire. |
2011 | V. Saxena et al. | 35 | Homme | chute | Fracture luxation transcapholunaire symétrique et bilatérale | Manipulation à foyer fermé Plâtre anti brachiopalmaire |
2014 | C. Yildirim et al. | 21 | Homme | chute | Fracture luxation retrolunaire bilatérale. | Réduction à foyer fermé Embrochage percutané intercarpien Fixation interne percutanée (vis d’Herbert) |
2016 | Notre observation | 23 | Homme | chute | Luxation fracture transcaphoradiolunaire bilatérale | Réduction à foyer fermé Ostéosynthèse des scaphoïdes Arthrodèse provisoire |
Nous insistons à travers cette observation sur la rareté et la gravité de la luxation transcaphoradiolunaire bilatérale. L’urgence du traitement dans notre observation a permis d’obtenir un résultat fonctionnel satisfaisant. L’analyse radiologique rigoureuse des lésions associés a déterminé notre conduite chirurgicale. Le traitement n’est pas consensuel et tend à se codifier pour devenir chirurgical visant à réparer toutes les structures ligamentaires et fixer les fractures des os du carpe. Il faut toujours prévenir le patient du risque de raideur expliqué par l’arthrose qui est la principale complication.
- Kaneko K, Miyazaki H, Yamaguchi T, Yanagihara Y, Kurosawa H. Bilateral transcapholunate dislocation. Chir Main. 2000;19:263-8 pubmed
- Barros J, Oliveira D, Fernandes C. Bilateral transscapholunate dislocations. J Hand Surg Br. 1997;22:169-72 pubmed
- Tekin H, Grütte A. [Bilateral perilunar dislocation fracture]. Unfallheilkunde. 1982;85:399-401 pubmed
- Saxena V, Pradhan P, Yadav A, Mehrotra V. Bilateral symmetrical trans-scaphoid perilunate dislocation–a rare injury. Journal of Clinical Orthopaedics and Trauma. 2011 Jun 1;2(1):51–3.
- Herzberg G, Comtet J, Linscheid R, Amadio P, Cooney W, Stalder J. Perilunate dislocations and fracture-dislocations: a multicenter study. J Hand Surg Am. 1993;18:768-79 pubmed
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- Oberlin C. IN: Fractures du poignet et du carpe. Manuel de chirurgie du membre supérieur, p128-129.