Déminéralisation osseuse diffuse et pancréatite révélant une leucémie aigue lymphoblastique
  1. Asmaa Dibi MD#
    asmaadibi at gmail dot com
    Service de Pédiatrie IV. Hôpital d’Enfants de Rabat. Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat. Université Mohamed V- Suissi. Rabat – Maroc
  2. Fatima Jabourik MD
    Service de Pédiatrie IV- Hôpital d’Enfants de Rabat – Maroc
  3. Abdelali Bentahila MD
    Service de Pédiatrie IV- Hôpital d’Enfants de Rabat – Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.693
Date
2014-04-13
Citer comme
Research fr 2014;1:693
Licence
Résumé

Introduction : La leucémie aigue lympoblastique (LAL) est la maladie maligne la plus fréquente chez l’enfant entre 2 et 10 ans. Elle se traduit habituellement par des signes d’insuffisance médullaire. L’hypercalcémie est un mode de révélation particulier. Nous rapportons dans ce travail une observation d’une LAL installée 2 mois après la découverte d’une déminéralisation osseuse diffuse avec une hypercalcémie sévère compliquée d’une pancréatite.

Observation : Il s’agit d’une fille âgée de 3 ans qui a été admise pour des douleurs abdominales et osseuses. Le bilan était en faveur d’une pancréatite sur hypercalcémie et une déminéralisation osseuse diffuse. Le premier myélogramme avec la biopsie ostéo-médulaire étaient normaux. Un deuxième myélogramme réalisé devant le bilan étiologique négatif et la thrombopénie a permet de poser le diagnostic de la LAL. Sous chimiothérapie la calcémie s’est normalisée.

Conclusion : L’hypercalcémie sévère doit toujours faire suspecter une hémopathie maligne, elle peut être concomitante à la maladie comme la précéder de plusieurs mois. Le myélogramme peut être répété si le bilan étiologique reste négatif. La pancréatite est une des complications rares de l’hypercalcémie qu’il faut y penser devant l’association des douleurs abdominales.

English Abstract

Introduction: Acute lympoblastic leukemia (ALL) is the most common malignant disease in children between 2 and 10 years. Hypercalcemia is a particular revelation of ALL. We report in this paper a case of 2 month-late discovery of ALL after diffuse bone demineralization with severe hypercalcemia which was complicated by pancreatitis.

Observation: A 3-year-old girl was admitted for abdominal and bone pain. Pancreatitis, hypercalcemia and diffuse bone demineralization were diagnosed. The first bone marrow biopsy was normal. A second myelogram was performed 2 months later, which allowed the diagnosis of ALL. Serum calcium was normalized under chemotherapy.

Conclusion: Hematologic malignancy should always be suspected in the cases of severe hypercalcemia. Hypercalcemia may be concomitant or precede by several months. Myelogram may be repeated if the etiologic work-up was negative.

Introduction

La leucémie aigue lympoblastique (LAL) est la maladie maligne la plus fréquente chez l’enfant entre 2 et 10 ans. Elle se traduit habituellement par des signes d’insuffisance médullaire. L’hypercalcémie est un mode de révélation particulier. Nous rapportons dans ce travail une observation d’une LAL apparue 2 mois après la découverte d’une déminéralisation osseuse avec une hypercalcémie sévère compliquée d’une pancréatite.

Déminéralisation osseuse diffuse et pancréatite révélant une leucémie aigue lymphoblastique Figure 1
Figure 1. Déminéralisation diffuse sur la tête fémorale.
Observation

Il s’agit d’une fille âgée de 3 ans, sans antécédent particulier, qui a présenté 2 mois avant son hospitalisation des douleurs abdominales siégeant au niveau de la fosse iliaque droite associées à des douleurs articulaires de la hanche et du genou imposant l’alitement. Elle a reçu des antalgiques et des antibiotiques sans amélioration. Trois jours avant son admission, les douleurs abdominales étaient devenues plus intenses, généralisées et plus marquées au niveau épigastrique, associées à des vomissements bilieux, une fièvre à 38°, une anorexie, une asthénie et un amaigrissement chiffré à 3kg en un mois ainsi que la persistance des douleurs articulaires. L’examen clinique a trouvé une fille en mauvais état général, fébrile à 38.5°, un poids à 9 kg (-3DS), une taille de 88cm (-1DS), pâle, une sensibilité à la palpation épigastrique, une douleur à la mobilisation du genou droit sans signe inflammatoire en regard, l’examen de la hanche était difficile à cause de la douleur. Le bilan biologique a montré sur la NFS : Hb : 8,3 g/dl, VGM : 78.3 fl/dl, CCMH : 32%, GB : 12 300 /mm3, PNN : 5 870/mm3, lymp : 5 940/mm3, PLQ : 138 000 /mm3. A l’ionogramme : NA+ : 134 meq/l, k +: 3.7 meq/l, Réserves alcalines : 19 meq/l, Gly : 0.83g/l, Urée : 0.58g/l, Créa : 4.8mg/l, Protidémie : 73g/l, Ca2++ : 199 mg/l, Ph : 53 mg/l, ASAT : 30 UI/l, ALAT : 18UI/l, GGT : 9UI/l, PAL: 158UI/l, CRP: 118 mg/l, l’amylasémie: 1 934 UI/l , la lipasémie: 5138 UI/l, la parathormone: 11ng/l, VS : 105mm la première heure . Le myélogramme réalisé devant la thrombopénie et l’hypercalcémie était normal. Le dosage de l’antigène CA 19-9 : 213.9 UI/l (N <18). L’Electrophorèse d’Hb était normale. La radiographie du bassin a montré une déminéralisation diffuse (Figure 1). La radiographie du crâne a montré la présence de multiples lacunes crâniennes à l’emporte pièce (Figure2). L’échographie abdominale a montré une hypertrophie diffuse du pancréas, sans lithiases biliaires. L’échographie de la hanche a montré un aspect irrégulier de la tête fémorale droite. Le scanner abdominal a montré une hypertrophie globale du pancréas avec perte de sa lobulation, se rehaussant de manière homogène après injection du produit du contraste, sans zone de nécrose ou de lésion tumorale avec un index de gravité 1 (Figure 3). Devant la pancréatite et l’hypercalcémie, la prise en charge initiale a consisté à la mise au repos du tube digestif, avec mise en place d’une sonde naso-gastrique, une hyperhydratation, une antibiothérapie à base de Ceftriaxone devant la CRP élevée, et des antalgiques: Paracétamol et Codéine. L’évolution a été marquée par une nette amélioration clinique avec reprise de l’appétit, la disparation des douleurs abdominales, la régression des douleurs osseuses, et la disparition de la fièvre, il y eu également une baisse de la CRP et de la calcémie. L’échographie abdominale de contrôle a montré la régression de l’hypertrophie pancréatique et l’apparition de microlithiases biliaires. Cependant la NFS de contrôle a montré : Hb : 6.3g/dl, VGM : 77.7fl/dl, CCMH : 32.4%, GB : 5010/mm3, PNN : 1700/mm3, Lym : 2850/mm3, Plq : 122000/mm3. La patiente a été transfusée et une biopsie ostéomédulaire a été alors réalisée et qui était normale. Le bilan étiologique a été complété par une IRM abdominale (Figure 4) qui a montré le même aspect que le scanner, une scintigraphie osseuse qui n’a pas montré de lésion tumorale et le dosage des catécholamines urinaires qui était normal. Durant son hospitalisation, la malade a présenté deux rechutes fébriles à 40° avec élévation de la CRP et réascension de la calcémie, le bilan infectieux n’a pas trouvé de foyer évident. La reprise de la même antibiothérapie pour la première rechute et le changement de l’antibiothérapie par la Ceftazidime à visée nosocomiale pour la deuxième, ont permis la disparition de la fièvre et la baisse de la CRP, mais la calcémie à la deuxième rechute est resté élevée avec aggravation de la thrombopénie. Un frottis sanguin a été réalisé qui a montré la présence de 3% de blastes, un deuxième myélogramme a été alors réalisé qui était en faveur d’une leucémie aigue lymphoïde de type I. La malade a été mise sous chimiothérapie avec bonne évolution et normalisation de la calcémie dés la phase d’induction.

Déminéralisation osseuse diffuse et pancréatite révélant une leucémie aigue lymphoblastique Figure 2
Figure 2. Multiples lacunes crâniennes à l’emporte pièce sur la radiographie du crâne
Discussion

L’hypercalcémie sévère est une situation particulière et peu fréquente en pédiatrie mais peut être grave mettant en jeu le pronostic vital de l’enfant. Ses principales causes sont représentées par les causes néoplasiques, parathyroïdiennes, endocrâniennes, granulomateuses, l’intoxication vitaminique D et A et les maladies de systèmes. Dans la LAL l’hypercalcémie est inhabituelle, elle est présente dans moins de 1 % des cas [1], elle peut être dûe à une ostéolyse extensive ou à un facteur systémique d’activation ostéoclastique sécrété par les cellules lymphoïdes malignes en dehors de toute atteinte osseuse. Deux médiateurs sont incriminés : le 1,25(OH) 2D3 et la PTH-rP. La production excessive ectopique de 1,25(OH) 2D3 est liée à une activité 1 alpha-hydroxylase produite par les cellules lymphoïdes [2]. Mais le principal mécanisme de l’hypercalcémie humorale reste la production excessive de PTH-rP par les cellules lymphoïdes. Elle présente une certaine analogie avec la PTH ce qui lui permet d’en fixer les récepteurs et d’en mimer les effets [3] [4]. Dans notre observation, l’hypercalcémie était accompagnée d’une déminéralisation osseuse diffuse. En fait, la survenue de manifestations osseuses est possible au cours des leucémies aigues (LA), avec une fréquence plus élevée chez l’enfant et dans les LA lymphoblastiques (LAL). Les douleurs osseuses sont présentes dans 5 % des cas lors du diagnostic et peuvent être révélatrices, et dans 50 % des cas au cours de l’évolution [5]. Elles sont habituellement diffuses et siègent le plus souvent au squelette axial, ou aux os longs, en rapport avec une atteinte osseuse spécifique ou à des infarctus osseux. A la radiographie, notre patiente présentait des lésions ostéolytiques diffuses, ces lésions sont présentes dans 15 à 50 % des cas chez l’enfant [6]. Il s’agit soit de lésions lacunaires pouvant siéger au crâne, au bassin ou à la partie proximale des os longs, soit d’une déminéralisation diffuse rachidienne.

Déminéralisation osseuse diffuse et pancréatite révélant une leucémie aigue lymphoblastique Figure 3
Figure 3. Hypertrophie globale du pancréas avec perte de sa lobulation sur le scanner abdominal

Les principales manifestations cliniques de l’hypercalcémie sont gastro-intestinales neurologiques, rénales et cardiaques [7]. La pancréatite aigue est une manifestation rare, elle survient dans moins de 1 % des cas à condition que l’hypercalcémie dépasse le seuil de 3 mmol/L [8]. Elle est dûe à l’augmentation du calcium dans le suc pancréatique qui accélère la conversion du trypsinogène en trypsine qui est elle-même responsable de l’agression du parenchyme et des canaux pancréatiques [9].

Le diagnostic clinique de la pancréatite repose sur les caractéristiques du syndrome douloureux abdominal et la présence de signes généraux moins spécifiques mais pouvant faire suspecter une pancréatite grave. La fièvre retrouvée chez notre malade est présente dans 70 à 85 % des cas [10]. En pratique, la lipasémie apparaît comme étant le marqueur biologique le plus spécifique et le plus sensible plus que l’amylasémie et sa supériorité diagnostique a été confirmée lors de la conférence de consensus française [11].

Déminéralisation osseuse diffuse et pancréatite révélant une leucémie aigue lymphoblastique Figure 4
Figure 4. Prise de contraste hétérogène du pancréas augmenté de taille sur l’imagerie par résonance magnétique abdominale

L’échographie abdominale permet une étude satisfaisante du pancréas dans seulement 60 % des cas. La tomodensitométrie (TDM) abdominale est l’examen de référence pour le diagnostic. Elle permet de mettre en évidence un élargissement pancréatique focal ou diffus, une hétérogénéité du parenchyme pancréatique, un flou des contours de la glande pancréatique, une densification de la graisse péripancréatique ou un épaississement des fascias périrénaux et de visualiser la nécrose pancréatique. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a une fiabilité diagnostique équivalente à la TDM, mais elle peut être proposée pour l’étape du diagnostic étiologique avec une très bonne visualisation des canaux biliaires et pancréatiques [12]. Sur le plan thérapeutique, le meilleur traitement de l’hypercalcémie est celui de la leucémie. En attendant la mise en route de ce dernier, le contrôle de l’hypercalcémie est souvent nécessaire et impératif. La réhydratation hydroélectrolytique fait partie intégrante du traitement et ses indications dépendent de l’importance de la calcémie, des signes de déshydratation et du terrain général du patient. Les biphosphonates sont largement utilisés dans les hémopathies malignes avec une efficacité légèrement moindre. Leur action parfois retardée, pourrait justifier l’utilisation simultanée de la calcitonine. Dans notre observation, l’hypercalcémie a bien répondu initialement à l’hyperhydratation, cependant avec l’installation de la leucémie, elle est devenue très résistante et c’est l’administration de la corticothérapie au début de la chimiothérapie qui a permis la normalisation de la calcémie. En fait, les corticoïdes sont plus efficaces dans le traitement des hypercalcémies au cours des hémopathies malignes [4] ; ils rentrent par ailleurs dans les protocoles de chimiothérapie de la LAL. A forte dose, ils augmentent la calciurie et diminuent l’absorption intestinale du calcium.

Conclusion

L’hypercalcémie sévère doit toujours faire suspecter une hémopathie maligne, elle peut être concomitante à la maladie ou la précéder de plusieurs mois. La pancréatite est une complication rare qu’il faut y penser devant l’association des douleurs abdominales.

Références
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  5. Rennie J, Auchterlonie I. Rheumatological manifestations of the leukaemias and graft versus host disease. Baillieres Clin Rheumatol. 1991;5:231-51 pubmed
  6. Roux S, Mariette X. Manifestations ostéoarticulaires des hémopathies malignes (myélome exclu). EMC-Rhumatologie Orthopédie 2005 ; 2 : 109 - 124.
  7. Hypercalcémies sévères C. Guidon. EMC-Anesthésie Réanimation 2005 ; 2: 114–131.
  8. Niederau C, Luthen R, Klonowski-Stumpe H, Schreiber R, Soika I, Sata N, et al. The role of calcium in pancreatitis. Hepatogastroenterology. 1999;46:2723-30 pubmed
  9. Dagorn J-C. Physiopathologie de la pancréatite chronique. Gastroenterol Clin Biol 2002; 26: B95–B102.
  10. Mennecier D. Pancréatite aiguë : moyens diagnostiques et éléments pronostiques. Réanimation 2008 ; 17 : 768-774.
  11. Conférence de consensus : pancréatite aiguë. Gastroenterol Clin Biol 2001;25:177-92.
  12. Lecesne R, Taourel P, Bret PM, Atri M, Reinhold C. Acute pancreatitis: interobserver agreement and correlation of CT and MR cholangiopancreatography with outcome. Radiology 1999;211:727-35.
ISSN : 2334-1009